Néanmoins, elle a signalé cet événement au bureau du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. «À ce jour, je vais à la commission tous les mois pour obtenir mes médicaments», raconte Diab. « Il y a toujours une longue file d’attente, et beaucoup d’autres sont également victimes du commerce d’organes. »
Après être allée à l’agence des Nations Unies, un étranger est arrivé chez elle alors qu’elle était au travail. Son fils a ouvert la porte. Cette personne a dit au garçon que si sa mère parlait de son expérience, il la tuerait. Selon le garçon, l’homme louchait – le trait caractéristique de Mudjahid, originaire du Soudan, un nom important de l’industrie du prélèvement illégal d’organes au Caire.
Pour sa part, Ali, une trentaine d’années, connaît Mujahid depuis qu’il était chauffeur de camion au Soudan. « Nous étions amis; nous nous connaissions depuis cinq ans avant son départ pour l’Égypte », explique Ali. «Quelques mois après son émigration, en 2013, il m’a invité à suivre ses traces et il m’a promis de me trouver un emploi au Caire.» Mujahid a rencontré Ali à l’aéroport et l’a emmené chez lui. « Il a mis un somnifère dans la boisson qu’il m’a offerte et je ne sais pas ce qui est arrivé après ça. »
Quand il se réveilla, se souvient Ali, il était dans une clinique de fortune, avec des bandages, des seringues et des scalpels usés dans une poubelle. Il souffrait et remarqua rapidement une grande cicatrice sur son ventre. «Ils m’ont obligé à signer un document indiquant que j’avais fait don de mon rein volontairement. Ils m’ont donné 150 livres égyptiennes [environ 8,40 dollars] pour le transport et m’ont renvoyé chez moi. ”
Quelque cinq ans plus tard, la honte l’empêche toujours de retourner au Soudan. « Personne ne croira que le rein m’a été enlevé contre mon gré », dit-il. « Vendre un organe, c’est haram – honteux, pour moi et pour ma famille. » Quoi qu’il en soit, Mujahid aurait pris son passeport, alors même s’il voulait rentrer chez lui, il ne pourrait pas.
Ali est dans la même situation que les autres personnes à qui j’ai parlé. Il souffre de douleurs et de faiblesses chroniques et est incapable de faire un travail nécessitant un effort physique. En tant que réfugié dont la capacité à gagner sa vie est intrinsèquement limitée, il ne peut pas compter sur un revenu régulier. Comme d’autres qui ont enduré une épreuve similaire, il vit au jour le jour.
Proies faciles
Cela fait huit ans que l’Organisation mondiale de la Santé a classé l’Égypte parmi les cinq pays du monde où le commerce illégal d’organes est le plus répandu. Elle a également été identifiée comme un pays où la grande majorité des organes à transplanter provient de donneurs vivants, contrairement aux endroits où les organes sont généralement prélevés sur des personnes décédées. En 2011, l’ONG Coalition for Organ–Failure Solutions, qui mène une bataille internationale contre les greffes illégales, a publié une étude basée sur des recherches de sa branche du Caire et identifiant la communauté des réfugiés africains de cette ville comme étant particulièrement vulnérable. Les enquêteurs ont mené des entretiens approfondis avec 12 réfugiés qui avaient perdu un rein et ont documenté 60 cas au total – la plupart impliquant des réfugiés du génocide au Darfour, au Soudan. Le rapport de la COFS estime que plusieurs milliers de réfugiés africains sur un quart de million en Égypte ont été victimes d’un commerce illégal d’organes.
Quelques cas de trafics d’organes ont été découverts récemment en Égypte et les autorités ont procédé à des arrestations, mais il est difficile de faire état d’efforts complets pour éradiquer le phénomène. Une chose est certaine : cela n’a pas diminué. En 2015, le Parlement européen a constaté que l’Égypte était toujours l’un des pôles de ce trafic, aux côtés de divers pays d’Asie de l’Est.
Que fait l’état égyptien?
De temps en temps, les autorités égyptiennes enregistrent des succès ponctuels en matière de limitation des prélèvements d’organes. En 2016, un réseau de trafiquants a été découvert et 45 suspects ont été arrêtés. La liste des détenus comprenait de nombreux membres de la profession médicale, allant des professeurs aux directeurs de cliniques et aux infirmières. (Apparemment, la plupart des reins prélevés sont livrés à leurs nouveaux propriétaires, des touristes médicaux, opérés dans des hôpitaux et des cliniques du Caire.) Un tribunal a condamné 37 personnes à des peines de prison allant de trois à quinze ans. Un an plus tard, 16 suspects, dont un médecin et un technicien de laboratoire appartenant à un autre réseau présumé, ont été arrêtés.
L’année dernière, une nouvelle législation a été promulguée en Égypte. Elle prévoit une peine de trois ans d’emprisonnement et de lourdes amendes pour quiconque effectue une transplantation d’organe par la contrainte ou la duperie. En vertu de cette loi, si une personne décède à la suite d’une transplantation, son auteur sera condamné à la prison à vie. Cependant, selon les témoignages d’activistes, les arrestations sont rares et la loi n’a pas réussi à modifier la situation sur le terrain.
Au cours des derniers mois, les médias égyptiens ont signalé plusieurs affaires de commerce d’organes humains. En février, un couple a été arrêté pour trafic illicite d’organes à Helwan, ville du sud du Caire sur le Nil. Les deux hommes ont tenté de recruter des donneurs via un groupe Facebook appelé « Donneurs de rein en échange d’une indemnité matérielle ». Dans une autre affaire, en mai dernier, trois autres suspects ont été arrêtés, dont un boucher, qui a déclaré dans son témoignage qu’il travaillait pour département des transplantations d’un hôpital de Maadi, une banlieue chic du Caire. En juillet, les corps de trois enfants ont été découverts au bord d’une route dans la capitale égyptienne. Les médias avaient dénoncé le prélèvement d’organes et les autorités ont démenti.
Line Tubiana
Traduit et adapté de haaretz